Accueil > Actualités > L’hégémonie Google : vers une lente agonie ?
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Stéphanie L.
12 mars 2024
13 mars 2024

Sylvain Peyronnet est l’un des experts SEO les plus reconnus en France, créateur d’algorithmes et notamment co-créateur de Babbar et Yourtext.Guru. Doté d’une solide culture Tech et d’une insatiable curiosité pour le domaine, il connaît comme personne l’écosystème Google mais aussi ce qui ce qui se joue en coulisses dans la Silicon Valley… Nous avons profité de sa présence au SEO By Night pour lui demander son avis sur l’avenir de Google. 

Qu’est ce qui pourrait, selon vous, remettre en cause l’hégémonie Google?

Sylvain Peyronnet : Je crois plus en une sorte d’agonie douloureuse due à une lente évolution des usages, qu’à l’émergence soudaine d’un challenger. On pourrait imaginer que le nombre d’utilisateurs diminue jusqu’à passer sous un seuil critique… ce qui finit par tuer l’entreprise.

Ce qui me semble évident, c’est qu’il n’est pas possible de casser l’hégémonie de Google en proposant le même service. Aujourd’hui pour la plupart des gens, LE moteur de recherche, c’est Google. Et ce même si les résultats se sont dégradés ces deux dernières années et que Bing est meilleur sur certaines requêtes. Ce n’est même pas une question de qualité : c’est une question d’image de marque. Le moteur de recherche Google est brandé, identifié, intégré… Il faudrait vraiment un usage différent pour que les gens commencent à changer. 

En revanche, Google peut être confronté à des problèmes légaux. La data vient de la publicité, et s’ils n’ont plus droit de la donner au moteur de recherche, celui-ci se dégradera en termes de qualité de résultats parce qu’il pourra plus utiliser la donnée comportementale originellement fournie par la partie publicitaire.

Les IA génératives comme ChatGPT ne risquent-elles pas de lui voler la place du moteur de recherche dans les habitudes des utilisateurs ?

Sylvain Peyronnet : D’un point de vue théorique je distingue la recherche d’information face à une base de données de la recherche d’information “prémâchée” assistée. Le moteur de recherche permet d’accéder à l’information pour que l’on puisse se l’expliquer. L’agent conversationnel explique l’information. Et je pense que les deux usages vont coexister. 

Cela va générer de sacrées baisses de revenus pour Google, qui va perdre 30 ou 40 % de son trafic, mais cela l’amènera à se concentrer différemment sur son cœur de métier. 

Je crois beaucoup en un futur agent conversationnel totalement personnalisé, qui tournerait probablement sur mobile, et qui utiliserait des sources de données comme Google.  

Les mesures mises en place par le DMA ne pourraient-elles permettre à d’autres acteurs de faire leur place?

Sylvain Peyronnet : Le DMA est conçu pour, d’une certaine manière, mais en fait je ne pense pas. Ces contraintes sont des barrières à l’innovation qui font que les petites structures doivent dépenser une partie de leurs ressources pour être en phase ou se mettre en conformité avec toutes ces nouvelles régulations. 

Or quand on est une start up, on a un peu d’argent. Si on ne peut pas le mettre au service de l’innovation, on ne fait jamais émerger le produit. L’histoire a montré que la plupart des régulations finissent  par profiter davantage aux grands acteurs déjà installés qu’à ceux qui arrivent sur le marché. En théorie, c’est fait pour que tout le monde puisse lutter à armes égales, mais je n’y crois pas trop. 

C’est un peu comme l’IA Act pour l’IA. Les grands acteurs comme Open AI ont déjà fabriqué leurs modèles en s’affranchissant totalement de toutes les règles possibles, sur la propriété intellectuelle etc. Ces modèles sont comme des boîtes noires dont ils peuvent se servir ni vu ni connu en France, là même où l’on ne peut plus en fabriquer avec la même liberté. 

On ne pourra jamais atteindre le même niveau de qualité que ChatGPT sur certains types de modèles parce qu’on n’aura pas le droit d’utiliser la donnée, sauf contrats pour  l’avoir. Et personne ne pourra payer, à part les très gros… qui l’ont déjà fait. Le dispositif constitue, selon moi, plus une barrière qu’une protection.

Doit-on voir l’IA plutôt comme une menace ou comme une opportunité pour Google?

Sylvain Peyronnet : Pour Google, c’est quand même une menace. Cela introduit de la nouveauté et cela peut toujours rebattre les cartes. 

OpenAI a pris Google de vitesse. La plupart des bons chercheurs en IA sont partis chez OpenAI, qui compte près de 400 chercheurs… une volumétrie comme il n’y en a jamais eu chez Google ! OpenAI a attiré tous les talents et il n’y a plus de chercheurs en IA disponibles autour de Palo Alto. Un jeune qui fait de l’IA préfèrera une petite structure dynamique, qui a une chance sur deux d’être rachetée par OpenAI que chez Google.

Sundar Pichai, Président-Directeur général de Google, a annoncé la création d’un laboratoire d’Intelligence artificielle Google à Paris, l’enjeu étant d’en ouvrir un avant OpenAI pour capter les talents, car la France a de très bons chercheurs en IA. 

Le pionnier en France reste cependant Facebook avec son laboratoire d’intelligence FAIR, lancé dès 2015 à Paris, parce que Yann Le Cun, Directeur scientifique de Facebook, connaissait la valeur des chercheurs en IA en France… Google fait finalement ce que Facebook a fait il y a déjà quelques années.

Qu’est ce qui pourrait expliquer le retard de lancement de SGE en Europe?

Sylvain Peyronnet :  Je pense qu’il y a trois raisons à cela. Déjà, les résultats donnés par SGE ne sont pas bons, la plupart du temps. Chat GPT par exemple est souvent meilleur : un peu compliqué de lancer SGE dans ces conditions. 

La monétisation pose aussi problème. Si on regarde Bing Chat par exemple,  on voit à la manière dont sont placés leurs liens publicitaires, qu’il s’agit de principes de monétisation moins rentables et qui surtout vont faire grincer des dents les clients. La façon dont c’est fait met en regard deux concurrents l’un face à l’autre sur un même résultat. 

Le plus gros problème enfin : qui est responsable des propos qui sont affichés selon les cas d’usage ? La règle actuelle pour les moteurs de recherche est qu’ils présentent les résultats mais ne se les approprie pas et n’en sont pas responsables. Si Google, en faisant une curation, encapsule un propos illégal dans une proposition de valeur qui fait lui-même, il endosse la responsabilité des propos et devient donc responsable légalement. Il y aura toujours des cas borderline. Et tant qu’il n’y aura pas un vrai éclaircissement pour savoir qui est responsable de quoi, cela constituera un risque…

Nous parlions d’agonie lente tout à l’heure… En concurrence avec Youtube et Tik Tok, Google n’est-il pas voué à devenir le moteur de recherche des “vieux” comme Facebook est devenu désuet parmi les réseaux sociaux ?

Sylvain Peyronnet : Si, tout à fait. Les plus jeunes utilisent très peu Google et parfois juste pour l’école. Le phénomène de “vieillissement” a été très rapide pour Facebook : en 15 ans à peu près. Google a déjà presque 30 ans… Reste à savoir si ce sera juste l’effet du temps ou si quelque chose d’autre va se passer. 

D’ailleurs le relais de croissance de Meta n’est pas du tout Facebook : c’est Instagram et WhatsApp. Je pense que YouTube a une plus grande probabilité de survie sur le long terme, à moins que les usages ne changent au point que les gens ne s’intéressent plus du tout aux vidéos longues. 

TikTok est en train de prendre le marché, mais c’est un usage vraiment très différent. Je ne sais pas si quelqu’un, en grandissant, peut conserver un usage de TikTok pour faire vraiment de la recherche d’information. Tout dépend de la façon dont les contenus évolueront…

Bonus track : l’Interview on-stage de Sylvain Peyronnet. 
L’avis ⭐⭐⭐⭐⭐ des étoiles du SEO, par ZOOM by YOODA X SEO by Night

Interview réalisée lors du SEO by Night 2024

Merci Sylvain !

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