Accueil > Actualités > Faut-il encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur ?
ActualitésInterviews
Stéphanie L.
4 décembre 2023

Face au développement exponentiel de l’IA, une proposition de loi visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur a été déposée à l’Assemblée Nationale le 12 septembre 2023 par le député Guillaume Vuilletet. 

Pour Vincent Terrasi, expert en IA et co-fondateur de Draft And Goal, une solution clé en main pour intégration d’IA en entreprise, le sujet mérite d’être traité, mais pas forcément dans ce sens…

Encadrer l’IA par le droit d’auteur : ce projet est-il réalisable selon vous ?

Vincent Terrasi : Avant d’aborder la technique, je poserais la question : est-ce une bonne chose ? À l’heure actuelle, les créateurs d’ IA peuvent faire ce qu’ils veulent et cela pose problème car il n’y a aucune équité ou compensation. OpenAI a par exemple récupéré l’intégralité des vidéos, son, images, textes, Internet pour entraîner son IA… Cette proposition de loi essaie justement de faire bouger les choses. 

Mais cette loi est-elle techniquement possible à appliquer ?

Vincent Terrasi : Oui et non. La traçabilité des œuvres dans ce cas est extrêmement compliquée. L’IA n’utilise en général pas une œuvre complète, mais des morceaux : il est donc difficile d’attribuer la création originale. 

Dans la génération d’images, les ayants droits ont déjà été largement contournés.

La première version de Stable Diffusion par exemple, était complètement illégale, car des œuvres soumises à droit d’auteur avaient été récupérées pour entraîner leur IA.

Le principe qui prévalait alors était que toute œuvre générée par une IA n’appartient à personne. Des centaines de millions d’images ont donc été générées par IA, pour servir ensuite à réentraîner l’IA sur des contenus licites. 

Les start-up ont une avance considérable sur les lois…Beaucoup de créateurs d’IA se sont dit  “On sait qu’on va avoir un problème juridique, mais on va récupérer l’intégralité du contenu disponible pour avoir une IA très fiable – même si complètement illégale – qui servira à entraîner de nouvelles IA à contenu légal.” La marche la plus difficile était la première. 

Je voudrais revenir aussi sur la reconnaissance de l’œuvre originale, qui est loin d’être si simple. Il y a souvent un véritable travail humain sur les œuvres qui ont été complètement remixées et modifiées par les utilisateurs de l’IA.

Avez-vous des exemples d’œuvres générées par IA ?

Vincent Terrasi : Je pense à l’exemple de Jason Allen qui a gagné un concours d’art dans le Colorado, dans la catégorie Arts numériques. Il a écrit plus de 500 prompts sur Midjourney et fait des centaines de modifications avec Photoshop. Alors oui, il a gagné en ayant utilisé une IA, mais il a passé un temps fou à créer son œuvre et il s’agit là de temps humain.

Autre exemple, le morceau “Saiyan”, dans lequel est repris la voix d’Angèle. La chanteuse a fini par chanter ce clip en concert. On a pu lire “l’IA a créé une chanson”… mais c’est faux ! Il y a eu un énorme travail de recherche d’arrangement, de programmation, de mixage, de distribution derrière cette création.

L’IA est un outil, mais derrière il y a un véritable travail humain pour arriver à une œuvre originale.

Une “sous-estimation” du travail humain nécessaire semblable a déjà été observée dans l’histoire, avec l’arrivée de l’appareil photo. Peintres et dessinateurs criaient au scandale, car pour eux seul un humain était capable de représenter la réalité. 

La machine apparaissait à l’époque comme tout sauf artistique. Il a fallu une centaine d’années pour que la photographie soit reconnue comme art à part entière. 

La même chose est en train de se produire avec l’IA. Un certain nombre de personnes font bouclier en pensant qu’on ne peut pas faire d’art avec l’IA. S’il s’agit juste de remake ou de plagiat, ce n’est évidemment pas de l’art, mais si l’on a quelqu’un qui s’investit et qui passe autant de temps à utiliser l’IA qu’à apporter sa touche personnelle, c’est une toute autre situation. 

Il n’est pas si facile de trancher sur la notion de création originale – et d’œuvre même dans ce nouveau contexte. Je trouve que le sujet mériterait un débat impliquant créateurs de start-up, philosophes, politiciens.

Il faut établir des lignes directrices claires pour différencier l’utilisation de l’IA comme un outil de traitement ou comme un outil pour créer de nouvelles œuvres. Comme pour la photographie : il y a les paparazzi et les artistes…

Quel organisme verriez-vous gérer ce système ?

Vincent Terrasi : Je pense qu’il faut juste s’appuyer sur les organismes déjà en place et les renforcer. 

Il ne faut pas oublier que l’IA est en train de se dupliquer dans tous les métiers, qu’on peut difficilement doubler avec des organismes spécialisés. Il vaut mieux faire appel aux organismes actuels et les former sur l’IA. Je vois là une énorme aubaine de création d’emplois. Les entreprises devront embaucher des spécialistes pour réguler et contrôler toutes ces nouvelles technologies.

Avec Draft and Goal, nous aidons par exemple les grands comptes à avoir leur propre IA, car ils ne peuvent pas dépendre d’outils tiers proposés par Microsoft ou Google. On leur permet d’avoir leur IA, hébergée sur leur propre infrastructure. 

Aborder le droit d’auteur dans le cadre de l’IA Act vous semblerait-il judicieux ?

Vincent Terrasi : La question du droit d’auteur est d’autant plus importante dans ce contexte. Le droit d’auteur est abordé par pays, mais il peut y avoir des œuvres mixées. On arrive ainsi à des procès d’une extrême complexité. 

Je pense que cette histoire de droit d’auteur devrait être portée à l’échelle mondiale, tout comme les réflexions sur l’IA. Dès lors qu’ un seul pays essaye de mettre en place sa propre loi, cela risque fort d’être inapplicable dans un procès. 

Apporter une solution à l’échelle de l’Europe ou d’un pays ne sera pas suffisant.

Ce projet pourrait-il sonner la fin de l’IA gratuite ?

Vincent Terrasi : On ne peut plus arrêter l’IA gratuite avec le modèle Open Source. Même Meta a sorti des modèles open source qui se trouvent déjà sur des millions d’ordinateurs.

En revanche, cela empêcherait de faire n’importe quoi avec les œuvres d’autrui.

Open IA a utilisé des œuvres sans consentement et va devoir rendre des comptes. Mais malheureusement, c’était prévu dans leur business plan.

C’est quelque chose qu’on voit souvent dans l’informatique, avec Uber par exemple : on lance, et on règle les problèmes juridiques après.

Et c’est ce qu’il va se passer ici : les IA qui vont sortir dans les prochains mois auront déjà plagié ou utilisé des œuvres sans consentement. Le mal est déjà fait.

Le projet de loi évoque “une menace et probablement un désastre à venir pour la création”. Les artistes sont-ils vraiment en danger selon vous ?

Vincent Terrasi : Le mot danger est très fort. Pour moi, l’IA, un peu comme Internet à ses débuts, est un nouveau moyen de communication et de diffusion des œuvres. Le fait que les artistes ne soient pas rémunérés par l’IA ne les met pas en danger mais crée un manque à gagner dans le cas où quelqu’un utiliserait leur œuvre d’une manière détournée. 

C’est ce qui se passe avec Chat GPT : les auteurs ont toujours leur “base de clients”. Mais maintenant tout le monde à partir de leur œuvre est capable de “créer” une nouvelle œuvre. 

Ça ne les met pas en danger, mais c’est assez révoltant de savoir que d’autres personnes utilisent vos créations sans que vous soyez informé et rémunéré. Et c’est vrai pour le texte, l’image, le son, les vidéos.

Que feriez-vous si vous étiez député ?

Vincent Terrasi : Je pense que la proposition de loi est quasiment impossible à mettre en pratique. Je ferais plutôt l’inverse, qui consisterait à faire en sorte que les artistes aient les moyens informatiques de protéger leurs œuvres. 

On est capables d’insérer des watermarks, qui permettent de prouver que l’IA a utilisé telle image ou tel texte. 

À l’heure actuelle, même si l’on peut prouver qu’il y a eu un morceau d’image qui ressemble à peu près à ce qu’à généré l’IA, cela va prendre des mois et des mois de procès : c’est complètement ingérable. Il faut donc de nouveaux moyens informatiques pour savoir ce qui a été généré et ce qui a été créé par un humain d’une part, et de nouveaux moyens pour déterminer quel texte ou quelle image à été utilisé par l’IA.

Je n’irais pas forcément vers la rémunération des auteurs, mais vers le fait de les former et leur donner tous les moyens possibles pour se protéger. 

Ce qui me fait sourire c’est que la meilleure façon de protéger les humains du vol de contenu à mon sens, ce serait tout simplement de confier cette mission à une IA. 

Merci à Vincent Terrasi.

Véritable Data Science Coach, Vincent Terrasi aide à comprendre et à maîtriser les technologies émergentes. Expert en IA et co-fondateur de Draft And Goal, solution clé en main pour intégration d’IA en entreprise, Vincent Terrasi interviendra aux Masterclass SEO du SEO By Night.

Partager cet article sur